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favorise les valeurs de rationalité et d’utilitarisme. Il oppose vision esthétique et valeurs
utilitaristes, faisant remarquer que la France contemporaine est « [...] un pays où l’idée
d’utilité, [qui est] la plus hostile du monde à l’idée de beauté, prime et domine toute
chose».195 Plus loin, il souligne l’écart qui existe entre la société actuelle, présentée
comme « un monde goulu, affamé de matérialité », et son admiration pour l’usage du
rêve dans la perception de ce qui l’entoure.196 Finalement, Baudelaire reconnaît dans un
de ses journaux intimes son inadéquation avec son époque de par son manque d’intérêt
pour les affaires et le profit, avouant : « Etre un homme utile m’a toujours paru quelque
chose de bien hideux », conclut-il.197
Outre de considérer le présent dans sa valeur poétique, le discours de Baudelaire
face à l’actualité se définit comme moderne aussi par la charge sociologique et critique
qu’il comporte : les réflexions baudelairiennes reflètent l’expérience problématique de
l’homme citadin en rapport avec les valeurs montantes de la logique capitaliste.
Benjamin précise en effet que « [w]ith Baudelaire, Paris for the first time became the
subject of lyrical poetry. This poetry is no local folklore ; the allegorist’s gaze which
falls upon the city is rather the gaze of alienated man ».198 Ainsi faisant, Baudelaire
débute une observation sociale et critique de la ville dans le cadre inédit de la logique de
post-révolution industrielle, s’inspirant entre autres des figures humaines de la misère
urbaine, comme les chiffonniers et les ouvriers. Proust remarque bien le poids social des
195 Charles Baudelaire, Notes nouvelles sur Edgar Poe, 1857, Œuvres complètes, ed. Claude Pichois, vol. 2
(Paris : Gallimard : 1975) 328.
196 Notes nouvelles sur Edgar Poe 321.
197 Mon cœur mis à nu 679.
198 170.