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couronnes », le poète déplore la tendance actuelle à valoriser exclusivement une vision
raisonnable et rationnelle des choses plutôt qu’aux plaisirs des sens et ses sentiments. A
l’aide d’un jeu de mots, il remarque que l’homme ne s’intéresse plus qu’à une seule fleur,
fleur quasi-morne de surcroît : la pensée. Il se désole :
Personne ne regarde plus le soleil
Les hommes sont devenus ce qu’ils sont devenus
Des hommes intelligents...
Ils n’arrêtent pas de penser
Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes
Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées
[...] les pensées.208
Le prologue de la section de Spectacle intitulée « La Transcendance » relève aussi la
domination d’une appréhension du monde basée sur le rationnel, l’utilitaire et la norme.
Dans ce texte, Prévert oppose la danse, activité sensuelle, collective et bien ancrée dans la
vie, à la transe, sorte de réflexion pseudo philosophique ou religieuse individuelle qui
élève l’esprit : « Il y a des gens qui dansent sans entrer en transe et il y en a d’autres qui
entrent en transe sans danser. Ce phénomène s’appelle la Transcendance et dans nos
régions il est fort apprécié ».209 Le texte « Page d’écriture », enfin, illustre concrètement
le désir du poète de rejeter la connaissance rationnelle et les repères utilitaires. Par
exemple, les tables d’addition y volent en éclats : « et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?
208 Jacques Prévert, « Fleurs et couronnes », Paroles 44, v.30-43.
209 Jacques Prévert, « La Transcendance », Spectacle 217.