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des peuples en question. Ce mode de pensée conduit en effet à des comportements
égoïstes et injustes, et par conséquent à un mode de société où il y a « ceux qui savent et
ceux qui ne savent pas se débrouiller ».229
4. Une réponse moderne : la transfiguration esthétique
Selon la définition d’attitude moderne et la description des préceptes perceptifs
privilégiés par les trois auteurs que je viens de souligner, j’affirme que Baudelaire,
Prévert et Césaire suggèrent finalement une même réponse au malaise humain et social,
réaction qui se constitue comme moderne. Celle-ci, que je nomme transfiguration
esthétique, se base sur l’usage d’une vision du monde et de la vie qui s’oppose à la
démarche contemporaine puisqu’elle refuse les conceptions réalistes et utilitaires des
choses, au profit d’une considération esthétique et imaginaire. C’est en cela que cette
perspective s’intégre pleinement à la modernité : elle critique le mode d’appréhension
dominant la société Contemporaineet s’ancre dans l’époque en visant à dégager le
poétique contenu dans l’actualité et le contingent.230 Cette perception, j’argue, permet
bien de combattre l’angoisse existentielle et de réinstaurer un plaisir de vivre en
transgressant, pour le revaloriser, le présent et ce qui compose le réel par un mouvement
d’esthétisation, de transfiguration. Camus pressent déjà le pouvoir de cette mise en
esthétique ; sans l’identifier précisément comme telle, il suppose dans son étude sur la
révolte au XXe siècle : « il y a peut-être une transcendance vivante, dont la beauté fait la
229 Césaire et Ménil 10-11.
230 Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne 694.