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sa substitution à l’autre, de la caricature de l’autre, une caricature à laquelle on donne une
valeur absolue. »223 Dans le Cahier d’un retour au pays natal, le poète critique en effet
cette hiérarchisation ethnique omniprésente, sentant le besoin d’insister sur le fait
qu’« [...] aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force /
et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête ».224 De plus cette perception
réifiante, qui fait que « l’humanité [est] réduite au monologue »225 représente à long
terme une menace pour la survie de l’homme même : la tyrannie, la haine et l’intolérance
qu’elle engendre, si elle détruit d’abord les cultures et les ethnies non européennes, sera
finalement nuisible au bien-être du monde occidental même : « dans cette politique, la
perte de l’Europe est elle-même inscrite », prévient le poète.226
Dans son essai « Introduction au folklore martiniquais », Césaire, en collaboration
avec René Ménil, affirme que certains contes traditionnels antillais témoignent bien de
l’impact négatif de la civilisation occidentale sur l’harmonie de l’humanité. Des
personnages récurrents dans ces fables comme « Lapin le madré, le rusé, le roublard... le
lâcheur »227 symbolisent en effet la démarche Chosifiante du colonisateur en encourageant
un comportement tourné vers le profit personnel plutôt que l’élan collectif. Le discours
véhiculé par ces contes, dans lesquels la ruse prédomine et « [l]es solutions individuelles
remplacent les solutions de masse »228, engendre la dégénérescence sociale et humaine
223 « Discours sur l’art africain » 103.
224 7 3.
225 Discours sur le colonialisme 398.
226 Discours sur le colonialisme 398.
227 Aimé Césaire et René Ménil, « Introduction au folklore martiniquais ». Tropiques 4 (1942) : 10.
228 Césaire et Ménil 10.