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promesse, qui peut faire aimer et préférer à tout autre ce monde mortel et limité ».231
Comme le souligne Camus, cette démarche rend le désir d’évasion caduque et s’oppose
donc à la réponse pré-moderne que propose Baudelaire à l’homme commun, réaction
basée sur la fuite vers un ailleurs. Cassou-Yager, elle, suggère même que la vision
imaginaire du monde permettrait de soulager le mal-être de l’homme à l’instar du salut
chrétien post-mortem ; elle s’interroge : « se pourrait-il que l’imagination soit le
succédané moderne de la foi ? Alors que le ‘croyant’ adhère de tout son être à la
promesse de l’au-delà, le ‘voyant’ crée cet au-delà, par la magie de son incantation, et
transfigure temporairement la mort ».232
Ces idées de « transcendance » chez Camus et d’« au-delà » chez Cassou-Yager
suggèrent ici une seconde caractéristique qui fait de la transfiguration esthétique une
réaction typiquement moderne. En effet, alors que le discours moderne rejette l’idée d’un
divin explicateur et tout puissant, donnant alors à l’homme le pouvoir d’agir dans le
monde, j’affirme que la perception transfigurante se comporte comme un mode de
sacralisation portée sur l’expérience humaine présente. D’une part, le concept même
d’élévation et de transcendance que suppose la transfiguration repose sur une idée
d’ascendance hors du terrestre. Comme le précise Ferry en effet :
[...] nos morales modernes affichent des idéaux qui se veulent en quelque
façon supérieures à la vie. [...] Supposer que certaines valeurs
transcendent la vie elle-même, c’est en effet reconduire, fût-ce sur le
231 319.
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