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l’homme les moyens de se servir des choses a malheureusement aussi
entraîné l’atrophie d’une autre partie de son moi.237
La présence de références au sacré dans le discours baudelairien n’est plus à
démontrer. En rapport avec la perception par transfiguration esthétique, la charge sacrée
contenue dans les œuvres de Baudelaire se rencontre d’abord dans la manière de
concevoir la figure du poète. Dans le poème « Bénédiction » par exemple — titre déjà
significatif à cet égard —, Baudelaire développe une rhétorique de la sacralité en
percevant l’artiste comme un homme élu : les dons de vision poétique de celui-ci
proviennent d’«un décret des puissances suprêmes » alors qu’il évolue sur terre « [...]
sous la tutelle invisible d’un Ange ».238 Cependant ici, et en relation avec la
déchristianisation progressive du discours survenue au XIXe siècle, le sacré fait référence
au caractère hors du commun du poète et de sa vision du monde plutôt qu’à la puissance
du Dieu chrétien. C’est donc une sacralité de l’immanence qu’annonce ici Baudelaire,
c’est-à-dire un processus de sacralisation d’une expérience de l’homme sur terre grâce à
son pouvoir perceptif. Le poète fait directement référence à cette idée dans une de ses
pensées où il parle de la perception par transfiguration poétique comme d’une religion ; il
déclare : « [i]l y a une Religion Universelle, faite pour les Alchimistes de la Pensée, une
Religion qui se dégage de l’homme, considéré comme mémento divin ».239 Nul doute
que les « Alchimistes de la Pensée » auxquels se réfère Baudelaire sont les poètes
modernes et leur capacité perceptive hors du commun.
237 Ferry 134-135.
238 Charles Baudelaire, « Bénédiction », Les Fleurs du mal 7, v.l ; v.21.
239 Mon cœur mis à nu 696.