88
En ce qui concerne Prévert, et malgré son athéisme marqué, ses textes regorgent
aussi de références au sacré. D’abord, si le poète rejette les cieux pour vivre sur terre,
c’est que pour lui, la vie offre des instants paradisiaques dépassant ceux de l’au-delà
chrétien. Ainsi dans « Pater noster », il revendique une vie dans ce monde-ci au nom de
toutes les merveilles et mystères accessibles dans l’existence et « Qui valent bien ce[ux]
de la Trinité », jure-t-il.240 De plus, Prévert croit aux miracles, à ceux qu’il voit tous les
jours à travers la beauté de la nature ou l’envoûtement des sentiments, entre autres. Son
poème « Vous allez voir ce que vous allez voir » remet en effet en cause la valeur
prodigieuse d’une action considérée comme telle par !’Eglise — Jésus qui marche sur
l’eau —, tout en hissant au rang de miracle un enchantement bien terrestre — la vision
d’un corps de jeune femme nu :
Une fille nue nage dans la mer
Un homme barbu marche sur l’eau
Où est la merveille des merveilles
Le miracle annoncé plus haut ?241
Dans cette optique, Prévert s’oppose à la logique du paris pascalien qui repose sur l’idée
que la vie est de moindre valeur et qu’il vaut par conséquent la peine de la sacrifier pour
miser sur l’existence du paradis. Dans le texte au titre provocateur de « Paris stupides »,
le poète rabaisse l’importance du philosophe et de sa doctrine : ne lui consacrant qu’un
240 v.7.
241 Jacques Prévert, « Vous allez voir ce que vous allez voir », Paroles 119.