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foi et ne ‘sachant plus prier’. Pour autant, le sacré n’est pas aboli, il
change de cadre esthétique et épistémique. Jusqu’alors le sacré était
l’expérience d’une transcendance que le langage devait recueillir, son au-
delà. Avec la modernité, c’est l’immanence de la forme poétique qui
contient et immobilise la dimension sacrale.236
Dans ce contexte, il est possible de dire que la perception transfigurante comme
réponse au mal-être humain n’est pas seulement possible à l’avènement final de la
modernité ; il se fait aussi nécessaire à cette époque où l’homme perd son rapport au
sensible et au divin. C’est en effet la perte du divin explicateur, accentuée par la montée
d’un discours utilitaire et rationnel qui éloigne encore un peu plus l’homme de tout
rapport spirituel au monde, qui ouvre la possibilité, voire le besoin, d’une sacralisation de
l’expérience artistique comme peut l’être la transfiguration esthétique. En d’autres
termes, la vision poétique s’établirait depuis Baudelaire comme un nouveau type de sacré
qui chercherait à rétablir un sentiment spirituel perdu. Ferry remarque en effet que la
vocation mystique de l’art,
héritée du romantisme, correspond à une violente réaction d’une partie de
l’esprit humain contre un monde entièrement soumis à l’idée de ‘progrès’
et aux principes de la pensée scientifique. La civilisation ‘moderne’, dont
Г ère commence précisément au début du dix-neuvième siècle, a accentué
l’écart entre les limites de l’existence quotidienne et les aspirations de la
plénitude de l’âme humaine. L’intelligence analytique, en donnant à
236 Olivier Sécardin, « La Poésie impie ou le sacre du poète : sur quelques modernes », Alif : journal of
comparative Poetics 23 (2003) : 229.