130 André Chevrillon
sombré sous les coups de vent? La Salle cache son in-
quiétude. Les hommes grondent, mais non seulement il les
dompte, mais il leur fait construire une maison forte, et qui
sera le Fort Miami. Avec un retard de vingt jours, Tonty
arrive enfin de Michilimackinac. En route alors, pour le lieu
de portage, la prairie près de Chicago, où est Marquette,
et qui mène à !’Illinois.
Messieurs, le temps me manque pour suivre les péripéties
de ce voyage: La Salle aventuré seul, en reconnaissance, et
perdu pendant plusieurs jours dans les bois; le grand bourg
des Illinois où l’on comptait se ravitailler, désert, car pour
les Indiens c’est le temps des chasses; la rivière barrée par
les pirogues d’une horde qui campe sur les deux rives et
qu’un émissaire indigène de certains Français a persuadé
qu’il allait soulever contre eux les Iroquois; mais comme
toujours, quand il parle aux Indiens, il les apaise. C’est en
vain qu’ils essayent de le retenir par de terrifiantes descrip-
tions de tribus féroces et de monstres qui peuplent le Mis-
sissipi. Alors, la fuite de six de ses hommes, première déser-
tion qui frappe au cœur, et que suit une tentative pour
l’empoisonner. Mais rien ne le fait plier. Il sait maintenant
que le “Griffon” est perdu, qu’il lui faudra de nouveau re-
venir en arrière jusqu’à ses lointaines bases, jusqu’à Mont-
réal—quelle distance!—pour repartir de son commence-
ment. Au dessous de Péoria, il élève un nouveau fort qu’il
appelle d’un nom symbolique: Crèvecœur, et il envoie l’un
de ses compagnons, le Père Hennepin, reconnaître le bas
cours de l’Illinois. Le 2 mars 1679, enfin laissant Tonty à
la tête du poste, il repart pour les Lacs et le Canada.
Cette fois, c’est 450 lieues à franchir. La rivière qu’il
remonte est couverte de glaçons qui poussés par le violent
courant heurtent à tous moments ses canots,—plus haut, si
complètement prise qu’il faut s’ouvrir un chenal à coups de