Cavelier de La Salle, 1643-1682 131
hache, puis munir les barques de patins et les traîner; finale-
ment les abandonner et se lancer, raquettes aux pieds, ba-
gages au dos, à travers la brousse et la prairie. Ailleurs,
ce sont de vastes marais qui le jour dégèlent au début du
printemps. Pendant une semaine, ils avancent dans l’eau
jusqu’aux genoux. Plus loin, des maquis, dont les épines
leur déchirent la figure, des rivières à traverser sur des ra-
deaux qu’ils fabriquent en abattant des arbres. Tout cela,
sous la neige ou la pluie, passant les nuits dans la boue ou
le verglas, et en faisant le guet contre les surprises possibles
des Iroquois. Il en survient des bandes, et La Salle va seul
au devant d’eux, palabre et, chaque fois, se tire d’afFaire.
Trois de ses hommes, épuisés, sont tombés malades, mais ils
sont maintenant à la Rivière des Hurons, et, il en laisse deux
qui regagneront en canot Michilimackinac. A Détroit, deux
autres sont pris de fièvre et l’un crache le sang; il n’en a
plus qu’un de valide pour l’aider à construire une embarca-
tion et pagayer jusqu’au Niagara. Au fort, il apprend que
non seulement le “Griffon” a sombré, mais qu’un navire de
France, portant une cargaison à son nom, s’est perdu sur
les roches à l’entrée de Saint-Laurent. Il continue sa route,
et le 6 mai, plus de deux mois après son départ de Crève-
cœur, il est enfin chez lui, à Frontenac. Va-t-il s’y arrêter,
se refaire un peu de ce terrible voyage ? Non, cet homme est
de fer. De Frontenac, où il a su sa ruine achevée par les
malversations de ses agents et la perte de plusieurs de ses
canots chargés de ses marchandises, il va tout droit à Mont-
réal, et là, au foyer des intrigues dirigées contre lui, tels
sont malgré tout son ascendant, sa puissance à communi-
quer sa foi, qu’il parvient encore à trouver des prêteurs, et
de quoi équiper une seconde expédition.
Hélas! Jusqu’à la fin, ce sera le sort de La Salle, chaque
fois que la fortune lui accorde un moment de bonheur,