128 André Chevrillon
sance aux ordres du Roi, et La Salle avec lui, de trafics illi-
cites. Contre cette incessante intrigue, la correspondance
ne menant à rien, il lui fallait un homme et sur place. La
Salle était le sien. Il en connaissait l’intelligence, l’en-
tregent, le pouvoir de persuasion. En Novembre 1673, muni
d’une lettre qui le recommande au Grand Ministre comme
l’homme le plus capable de toutes sortes d’entreprises et de
découvertes, La Salle part pour la France.
Cet homme qui avait couru les forêts de l’Illinois et de
l’Ohio en Indien, vêtu de peaux de daim, chaussé de mo-
cassins, imaginons le maintenant en perruque et jabot de
dentelle, dans l’antichambre de Colbert qui, le traitant de
fou, lui a fermé sa porte. Mais il insiste, réussit à le voir,
et très vite le conquiert. A-t-il paru à la Cour de Saint
Germain ? Tout au moins le Roi lui a octroyé des lettres
de noblesse, la seigneurie de Cataraqui, le gouvernement du
fort. La Salle se charge d’en rembourser la dépense, de
le parfaire en pierre, d’y entretenir une garnison, de faire
venir des “habitants,” d’organiser un commerce de pelle-
terie profitable au Revenu.
Deux années sont employées à ces tâches, mais pour lui,
ce Fort Frontenac n’est qu’un point de départ. Il s’agit
maintenant de fortifier la route du Mississipi; pour cela de
trouver de l’argent, surtout d’obtenir l’assentiment du Mi-
nistre et du Roi, à qui, en 1674, il n’a pas révélé toute l’éten-
due de son dessein. Le succès était douteux; Louis XIV
venait de refuser à Joliet l’octroi des terres que celui-ci
avait découvertes pour la raison qu’il fallait d’abord peupler
le Canada. De nouveau, en 1677, La Salle est à Paris. De
nouveau, la force convaincante de sa parole, la clarté de ses
vues, l’impression que produit sa personne, emportent les
résistances. Accompagné du Chevalier Tonty, qui sera
son meilleur lieutenant, il revient, muni de toutes les auto-