132 André Chevrillon
c’est pour le frapper ensuite plus durement. Revenu à Fron-
tenac, il reçoit une néfaste lettre de Tonty que des coureurs
se sont passée de main en main. Ce loyal serviteur est tou-
jours à son poste, établi sur un rocher que son chef, en le
quittant, lui a recommandé de fortifier pour la défense des
Illinois. Mais il y est presque seul. Crevecoeur est en ruine.
La plupart des hommes ont déserté après avoir pillé les
magasins, jeté à la rivière les armes, les vivres et tout ce
qu’ils ne pouvaient emporter. D’autres nouvelles arrivent.
Passant à St Joseph, ils en ont aussi détruit le fort, mais
huit d’entre eux ont été vus sur le lac Ontario. La Salle
sait où les attendre. Posté avec huit fidèles à un coude
étroit de la rivière, il voit deux de leurs canots approcher,
les menace de ses fusils et s’empare des traîtres, qu’il ramène
et emprisonne à Frontenac. Quelques heures après, du même
poste de guet, il découvre le troisième canot qui suivait, et
comme les bandits ouvrent le feu, deux sont abattus, et il
se saisit des trois autres. Telle est l’immédiate réaction de
son énergie.
Deux années d’héroïques efforts n’avaient abouti qu’à des
malheurs. La Salle reste impassible. “Nul regard humain,
dit Parkman, ne pouvait pénétrer les profondeurs de cette
nature hautaine et réservée.” Tout étant à recommencer,
simplement La Salle recommence.
Parti de Frontenac, le 10 août 1680, en Novembre il est
sur !’Illinois. Il approche de Crèvecœur quand un spectacle
d’épouvante le saisit. Le grand village des Illinois est en
cendres; rien n’en reste que des perches calcinées; la terre
est un charnier; des loups et des corbeaux se disputent des
morceaux de cadavres. Un peu plus bas, dans un campe-
ment abandonné, il trouve pire: sous des poteaux de sup-
plice, des restes de victimes—hommes, femmes, enfants brû-
lés vifs. Au fort, c’est la désolation; tout est dévasté, dé-