Cavelier de La Salle, 1643-1682 135
humeur, comme de simples incidents de voyage. Tout au-
tre, ajoute le Père, se serait avoué vaincu, mais je l’ai vu,
avec une fermeté, une constance sans pareilles, plus déter-
miné que jamais à continuer et à mener jusqu’au bout son
entreprise.
A la rame, et à quatre cents lieues de là, de La Salle gagne
Frontenac, d’où il descend à Montréal. Là, aidé par le
Gouverneur, il se refait une troupe, et dans l’été de 1681,
ayant écrit son testament, il repart avec Tonty, “résolu, dit
la Relation, d’achever au plus tard au printemps son entre-
prise ou de périr en y travaillant.”
Passons encore sur ce voyage de près de mille lieues.
Jusqu’au bas de l’Illinois, c’est la route que nous connais-
sons, où les mêmes difficultés, les mêmes péripéties se ré-
pètent. Encore des palabres avec les tribus pour les amener
à la Confédération défensive; encore des plaines à traverser
dans la neige. Alors la descente du Mississipi, l’entrée dans
les régions tièdes, la végétation qui change; au-dessous de
l’Arkansas, des peuplades comme ces Français n’en ont ja-
mais vues, qui ont des maisons de briques, de vraies villes,
des temples surmontés de dômes—le Taensas, les Natchez,
inquiets, à la vue des étranges européens et inquiétants d’a-
bord. Mais dit Membré, “le Sieur de La Salle dont la mine,
les manières avenantes, le tact, l’adresse inspirent l’amour
et le respect, produisait bientôt sur leurs cœurs un si heu-
reux effet qu’ils ne savaient plus comment assez bien nous
traiter.”
Les premiers alligators ont fait leur apparition, et voici que
l’eau prend un goût de sel. Le 6 avril, ils voient le fleuve se
diviser en trois branches; Le Chef s’engage dans celle de
l’Ouest, Tonty et d’Autray dans les deux autres, et bientôt
la mer, une mer enflammée et déserte, se déploie devant eux.
Le 9, ils sont tous ensemble environnés d’indiens au pied