138 André Chevrillon
vaisseau et 200 hommes, il s’emparera aisément de pays
riches en mines d’or et d’argent, et qui ne sont tenus que
par de faibles postes espagnols. C’est l’idée qui séduit le
plus le Roi Soleil. A de La Salle tout est accordé et plus qu’il
ne demandait: deux navires pour le convoyer, deux autres
qui lui resteront, des soldats, des ouvriers, une troupe de
colons. De plus, avec une forte réprimande, l’ordre est en-
voyé à La Barre de lui restituer tous ses biens.
Messieurs, à ce triomphe succède Ia catastrophe. Ce se-
rait attrister cette réunion que de suivre de près la suprême
lutte de ces héros contre un destin qui, nous le savons, va
le briser. La fin de La Salle est une agonie qui dura deux
ans, agonie au sens primitif du mot, qui signifie combat,
car ce fut un combat de tous les jours, de toutes les heures,
et il finit par y périr, et de quelle mort!
Vous trouverez dans le grand Livre de Parkman, son Ho-
mère, tout le détail de cette longue et confuse tragédie. Je
la résume en quelques mots. Pour commencer, la malveil-
lance de Beaujeu, Commandant des navires, malveillance
excitée peut-être—La Salle en fut convaincu—par ceux qui
depuis si longtemps le poursuivaient de leurs haines; puis
malgré ses avertissements, les bouches du Mississipi man-
quées, tout son monde laissé avec lui sur la côte du Texas,
Beaujeu, sous prétexte qu’il est à court de vivres, et qu’il
doit regagner les Antilles, non seulement se refusant à re-
chercher l’estuaire, mais refusant à La Salle l’artillerie em-
portée pour !’établissement d’un poste solide; la perte de
ses deux flûtes l’une, par une fausse manœuvre bien suspecte,
celle de “!’Aimable,” qui porte les munitions, les outils,
les approvisionnements, la pharmacie. Alors la famine, les
morts successives de tant d’infortunés qui l’ont suivi et qu’il
a rassemblés dans un fort improvisé; son courage, quand
l’angoisse étreint son cœur, à feindre le calme, à garder (je