Cavelier de La Salle, 1643-1682 139
cite un des rescapés) “cette égalité d’humeur qui relevait
les espérances les plus abattues”; ses raids successifs à tra-
vers des étendues de roseaux, de marais, à la recherche du
fleuve, sa résolution désespérée de monter avec quelques
hommes jusqu’au Canada et en ramener du secours, son
dernier départ du fort, où il fit, dit un autre des survivants,
“une harangue pleine d’éloquence, de cet air engageant qui
lui était si naturel et dont la colonie fut touchée jusqu’aux
larmes”; enfin son assassinat dans la brousse par deux mu-
tins qui, terrorisant les deux témoins les empêchent de lui
donner une sépulture, insultent son corps, le dépouillent et
le laissent nu aux loups et aux vautours. Mais celui que les
autres regardaient comme seul capable de les sauver, l’homme
de toutes les ressources, “notre ange tutélaire,” dira l’un
d’eux, sera vite vengé et les deux criminels périront à leur
tour. Détournons-nous de ces horreurs.
Rien n’avait jamais arrêté La Salle. Les marches de plu-
sieurs mois, répétées d’années en années, et pendant des
hivers glacés, dans les immensités sauvages, les maladies, les
menaces des Indiens, les conjurations de ses ennemis, les
désertions, les revers tels que, chaque fois, tout ce qu’il
avait accompli jusque là était anéanti,—il avait résisté à
tout. Il a fallu les coups de fusils de deux traîtres embus-
qués pour l’abattre.
Il avait la plus haute de toutes les vertus, la vertu par ex-
cellence, virtus, l’énergie spirituelle qui commande toutes les
autres, car elle se manifeste non seulement par l’audace et
la grandeur des entreprises, la certitude de la décision, la
continuité du vouloir, la sérénité dans le malheur et sous les
plus lourdes responsabilités, mais encore par la vigueur de
l’attention, la certitude de la mémoire, la précision et le
rapide agencement des idées d’où naît Ia réaction efficace
devant l’obstacle et le danger. Nietzsche a dit que sou-