86 The Rice Institute Pamphlet
Lucien Leuwen—la. Jeune république américaine qui prétend
justement, dans sa Déclaration d’indépendance, se livrer en
masse à Ia “poursuite du bonheur.” Bonapartiste, il aura des
mots durs, dans le Rouge, pour le régime et la politique de
Napoléon. On sait qu’il attaquera la Restauration avec furie,
mais c’est encore sa furie—son ardeur—qui le perd.
Ce qui manque terriblement à Stendhal, c’est le sens de
l’humour. Il y a trop de fiel dans sa satire et pas assez de
comique. Il n’y a point de rire sans détente. Or, Stendlral est
toujours tendu: comme ses héros fi a des poings crispés. C’est
précisément parce qu’il ne connaît pas le rire qu’il l’a si
ardemment désiré. A vingt ans il écrit: “J’ai eu Ie bonheur
d’être fixé de bonne heure dès ma plus tendre enfance, d’aussi
loin que je puisse me souvenir, j’ai voulu être poète comi-
que.” Et encore à trente-deux: “My glory and occupation
only Γart de Komiker.” Un de ses premiers essais littéraires
est une comédie, Letellier ou le Bon Parti, manuscrit qu’il
traîne avec lui à travers la campagne de Russie, et où fi pré-
tend peindre TAntiphilosophe, le Tartuffe actuel.” Tout
comme Hobbes, Meredith, Bergson, dont aucun, que je
sache, n’a produit la moindre ligne comique, Stendhal se fait,
dans son Racine et Shakespeare, un théoricien du rire. Et
c’est surtout dans Lucien Leuwen qu’il a désiré appliquer ses
théories. “Je construis l’épine du dos,” écrit-il dans les marges
du manuscrit, “autour duquel se bâtira l’animal. Le rire
naîtra sur l’extrême épiderme.” Le rire, hélas, ne naît pas. Ces
êtres contournés par la bassesse, la vénalité, l’ambition, le
vice—de Vaise dans son bureau de ministre, Séranville et
Fléron dans leurs préfectures, l’éloquent charlatan Du Poirier
—un petit Talleyrand-et les ultras Sansréal et Pontlevé—ce
sont des monstres de Balzac. Ils choquent mais ils ne font
pas rire. Ils sont grotesques sans être ridicules. C’est pourquoi
Stendhal s’est avisé de trouver son roman impubliable, et de