88 The Rice Institute Pamphlet
savons qu ils ne sont que même chose. Il s’engage—c est le
péché originel du satirique—il se lance dans la mêlée imagi-
naire, il distribue des coups de poing. Cela explique ce
surcroît de vinaigre qui fait tourner la gaîté, ce velouté de
fiel qui fait que la mousse ne se dégage pas. Par contre, il
faut bien le dire, ses scènes de salon, dans Armance et le
Rouge comme dans Lucien Leuwen, réussissent mieux. C’est
que le salon est une sorte de heu neutre, qui n’exige pas un
sérieux absolu. La politique y fait place à la politesse; c’est
un jeu qui n’a pas d’enjeu, une comédie où parler ne veut
rien dire, une machine bien réglée où les rouages tournent
à vide. C’est pourquoi Stendhal y retrouve une mesure de
souplesse qui, jointe à une des intelligences les plus fines et
les plus aiguës qui soient, constitue son ironie. L’ironie de
Stendhal est superbe. Il l’applique à ses personnages de salon
avec une mesure et une perfection qui pourraient faire penser
à Marcel Proust. II est évident qu’il trouve un vif plaisir à
nous peindre, avec de menues touches rapides et incisives
(le ton, cette fois, est juste), ces âmes étiolées par l’ennui,
pétries d’un snobisme ou d’un orgueil que les rigueurs de
toutes les terreurs et de toutes les constitutions du monde
ne peuvent saper: des êtres un peu creux et discrètement
répugnants, comme des automates échappés de Saint-Simon.
Ce sont des ombres pâles et juste assez anonymes pour ne
pas choquer—ultras de province un peu grisés par des rêves
de carfisme et la nostalgie de l’ancien régime, jeunes Pari-
siennes gentiment adultères et qui exhalent un léger parfum
de scandale, et ça et là un Dom Juan correct, un gigolo
cultivé et sympathique, un arriviste qui sait perdre, avec une
adresse admirable, au whist ou au pharaon—qui se profilent
contre un arrière-plan bariolé de style Empue avec une
netteté et une vérité charmantes. C’est que Stendhal y met
la pointe d’exagération nécessaire: c’est de Ia caricature la