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Chapitre I
Le divin, l’esthétique et le social :
contexte philosophique et sociopolitique moderne
Se pourrait-il que l’imagination soit le succédané
moderne de la foi ? Alors que le ‘croyant’ adhère de
tout son être à la promesse de l’au-delà, le ‘voyant’
crée cet au-delà, par la magie de son incantation, et
transfigure temporairement la mort.18
L’époque dans laquelle vivent Baudelaire, Pré vert et Césaire est marquée par
l’avènement de l’ère moderne, passage qui s’esquisse déjà au XVIe siècle pour s’imposer
progressivement au cours du XIXe siècle et dominer finalement au XXe siècle. J’affirme
que les changements épistémologiques, historiques et sociaux liés à l’instauration finale
de la modernité engendrent des divergences de discours et de perception entre les trois
poètes, en particulier entre Baudelaire d’un côté, qui vit encore dans une ère de transition,
et Prévert et Césaire de l’autre, évoluant pleinement à l’époque moderne. Plus
précisément, ces différences se retrouvent dans l’attitude qu’adoptent ces artistes envers
la condition humaine et sociale, et influencent par là même le type de réponse
qu’envisagent les trois poètes concernant l’angoisse existentielle et l’insatisfaction de
vivre qui frappent l’homme commun. J’argue cependant que Baudelaire, s’il se présente
de prime abord comme pré-moderne, développe en parallèle une attitude et une pensée
modernes dans le sens où il expérimente, tout comme les deux autres auteurs mais à un
degré moindre, une réponse moderne au malaise humain et social à travers la vision
extraordinaire du poète : une perception par transfiguration esthétique.
18 Hélène Cassou-Yager, La Polyvalence du thème de la mort dans Les Fleurs du mal de Baudelaire (Paris :
Librairie Nizet, 1979) 104.