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de l’humanité raisonnable ».21 En d’autres termes, le XVIIIe siècle généralise la
nécessité d’une pensée individuelle et apolitique, c’est-à-dire hors de toute considération
envers la fonction et la place sociale de l’individu qui s’engage dans la réflexion. Cette
démarche de raisonnement est importante ici puisqu’elle permet la pensée critique qui
fleurit au XIXe siècle. En somme, l’avènement de l’usage public et libre de la raison
humaine durant le siècle des Lumières propage l’idée d’une pensée humaine individuelle,
base de l’attitude moderne de critique et de remise en question systématiques des
connaissances naissant hors d’une réflexion humaine raisonnée.
La reconnaissance définitive d’une pensée rationnelle et individuelle dans le
procès du savoir au XIXe siècle va de pair avec une distance et une remise en cause des
explications et des jugements extérieurs au soi, comme ceux que véhicule le discours
religieux : l’œil investigateur questionne désormais les préceptes religieux en tant que
normes figées et absolues. Luc Ferry explique en effet que, pendant cette période, « c’est
justement parce que la religion prétend s’imposer à moi sous la forme d’une autorité
extérieure, texte ‘révélé’ ou dignitaire clérical, c’est-à-dire sur un mode qui semble
s’opposer à l’épreuve de ma conscience intime, qu’elle doit être soumise à la critique ».22
Dans ce contexte s’observe la disparition progressive d’une croyance envers un pouvoir
divin explicateur, événement que Friedrich Nietzsche nomme « la Mort de Dieu ». Une
fois de plus, ce processus se trouve en germe dans les siècles précédents. La remise en
question de l’importance d’un divin tout puissant s’intensifie par exemple à l’époque de
21 Michel Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières ? », trad, de « What is Enlightenment ? », 1984,
Foucault, Dits et Ecrits, eds. Daniel Defert et Francis Ewald, vol. 4 (Paris : Gallimard, 1994) 566. Pour
distinguer cet essai d’un article de Foucault intitulé de même « Qu’est-ce que les Lumières ? », je me
référerai au présent texte par son titre anglais, bien que j’en utilise la version française.
22 Luc Ferry, L’Homme-Dieu ou le sens de la vie (Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 1996) 46.